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L'anarchisme en perspective

Après la traversée du désert des années 80 et 90, l'anarchisme se fait actuellement plus présent dans de nombreux pays. On est évidemment très loin de l'ampleur que connut le mouvement en Occident de la seconde moitié du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, mais globalement, depuis les manifestations de Seattle en 1999 et la relative montée en puissance de l'anarchosyndicalisme, l'anarchisme s'est sensiblement renforcé en effectif et en moyens de diffusion.
Le développement d'internet, même s'il reste limité aux pays les plus riches, a donné un coup de pouce à ce renouveau, n'en déplaise aux technophobes qui ont accueilli cette innovation avec scepticisme, n'y voyant qu'une possibilité de flicage et un support commercial supplémentaires. C'est évidemment le cas, mais le web, à la fois média et outil de communication, est aussi particulièrement adapté aux mouvements disposant de peu de moyens financiers pour leur propagande et permet une meilleure coordination des éléments autonomes d'un réseau. Il faut juste garder à l'esprit qu'internet est une arme à double tranchant et ne constitue pas non plus la panacée.

Cela dit, le mouvement anarchiste reste objectivement ultra-minoritaire, l'importance de ses actions est limitée par le faible nombre d'activistes, et très relative vis-à-vis de l'état du monde. Alors qu'est-ce qui peut amener quelqu'un à croire en l'avenir de l'anarchisme et à s'y investir, en dehors de la défense d'idées rares et d'une certaine diversité culturelle et idéologique ?

S'il y a bien un mot à retenir de ces quinze dernières années, c'est le terme de « mondialisation ». Cette notion un peu fourre-tout désigne bien sûr le développement international du modèle capitaliste et des échanges commerciaux, qui s'est accéléré depuis l'effondrement du bloc soviétique, mais on peut y intégrer également d'autres phénomènes :

- La prise de conscience de la finitude et de la fragilité de la planète, de l'ampleur et du caractère mondial des bouleversements écologiques
- La dissolution progressive des frontières pour les marchandises et les capitaux (Europe, OMC…) et la mise en compétition directe des travailleurs et entreprises du monde entier.
- La découverte de la toute-puissance des multinationales, dont les plus importantes dépassent l'influence économique de certains pays riches.
- Le néocolonialisme décomplexé des faucons américains qui n'ont plus de contre-poids militaire direct
- Le développement des technologies d'information, l'intensification et la rapidité croissante des transports

Ces éléments ont radicalement changé notre vision du monde, considérablement rétréci et dans lequel le concept d'Etat-nation se dissout progressivement, d'où la sensation d'un village global marchand avec pour gendarme l'omnipotent gouvernement des USA.

A la conscience écologiste, qui s'éveille devant l'urgence, s'ajoute celle de la limitation des ressources naturelles, mise en évidence par la fin annoncée du pétrole, carburant de l'économie mondiale. Beaucoup de gens à travers le monde, sans pour autant être anarchistes, commencent à remettre en cause le principe même de croissance, sur lequel repose notre système. A l'évidence, il est impossible de soutenir une croissance illimitée sur des ressources limitées. Et même parmi ceux qui acceptent ce principe de croissance, une autre évidence s'impose : à quoi sert de faire grossir le gâteau si les miettes laissées aux travailleurs sont de plus en plus petites ? Pas besoin de sortir de l'ENA pour constater que l'accumulation des richesses par une minorité n'a pas réglé la misère du monde, bien au contraire.
Bref, il y a un boulevard pour les mouvements politiques internationalistes, écologistes et anti-capitalistes. C'est également une opportunité pour les organisations nationalistes qui pourront utiliser la peur de l'ouverture sur le monde pour proposer un repli identitaire et protectionniste.
Parmi la première catégorie, qui constitue une partie de ce que les médias appellent l'altermondialisme, il faut distinguer nettement l'extrême-gauche d'une part (trotskytes, marxistes révolutionnaires, maoïstes…) et l'anarchisme. Les différentes formes de communismes ont en commun l'étatisme ou, au moins, la conservation de la hiérarchie sous la forme de la domination du parti; ils ne sont pas forcément antimilitaristes ou écologistes et sont souvent adeptes du productivisme. Leur conception de la révolution ne peut entraîner qu'une guerre civile, et, si elle parvient à son terme, un durcissement du régime de transition, «l'Etat provisoire », visant à museler les opposants, pour aboutir finalement à un Etat totalitaire qui fera tout pour durer. L'Histoire permet de l'affirmer sans nuance. Il y aurait beaucoup à dire sur l'extrême-gauche, mais ce n'est pas le sujet, mis à part le fait que le mouvement anarchiste doit réellement s'en démarquer et la condamner; même si de nombreuses luttes peuvent paraître communes, il ne faut pas oublier que le premier ennemi de l'anarchisme est, par définition, la hiérarchie. Historiquement, le principal fossoyeur des anarchistes est le communisme autoritaire qui ordonna des éliminations physiques massives (à Kronstadt ou en Espagne, par exemple). En dehors de quelques nostalgiques de la dictature du prolétariat, et d'une certaine cristallisation du mécontentement, dont profite notamment Besancenot, je doute fort qu'on observe un réel retour du communisme.

La grande partie des altermondialistes n'est pas encartée, ils ne s'engagent pas dans une organisation précise mais pour des luttes spécifiques. La nouvelle génération se méfie à raison des grandes idéologies simplificatrices et se regroupent plutôt en collectifs traitant d'un thème particulier plutôt que dans des partis. Cette réaction plutôt saine s'explique, entre autre, par l'échec des utopies marxistes et par le dégoût qu'inspire l'attitude opportuniste de la plupart des anciens soixante-huitards. D'une manière plus globale, les appareils de pouvoir ne font plus recette : en France, les adhérents de l'ensemble des partis politiques ne représentent que 1% de la population, les syndicats regroupent 8% des salariés, et si on en croit les sondages, plus de 2 personnes interrogées sur 3 ne font plus confiance aux partis de droite ou de gauche. Les taux d'abstention souvent importants viennent renforcer ce constat, et tout le monde s'accorde à dire que le torchon brûle entre la population et ses dirigeants. Les raisons sont très nombreuses : un trop grand décalage entre l'évolution des mentalités et la rigidité des institutions, les excès de mensonges, de corruption et de promesses non tenues, la lassitude vis-à-vis du non renouvellement de la classe politique depuis 40 ans, la faible légitimité de la représentativité nationale, la prise de conscience du peu de poids du politique par rapport aux forces économiques etc. Le divorce est consommé, les élites s'en inquiètent fortement, mais pour l'anarchisme, c'est une chance : le sentiment de ne plus devoir compter sur les politiques professionnels, qui ne représentent qu'eux-mêmes, s'installe fortement. C'est un début de remise en cause de l'Etat ou, au moins, de la démocratie dite représentative.
En parallèle, l'Histoire nous a également appris à nous méfier des révolutions armées et la violence n'est manifestement pas souhaitée par nos sociétés habituées à vivre dans une certaine quiétude et dans le confort depuis les années 50-60. La peur des conséquences d'un bouleversement brutal est majoritaire dans l'opinion, même parmi ceux qui réclament un changement radical. La plupart des gens préfère une paix des marchands, qui déplace les conflits à l'étranger, à un risque de guerre civile interne. La solution ne semble pas, pour le moment, prendre une forme révolutionnaire, dans le sens classique du terme.
Là encore, cette situation est adaptée à un développement de l'anarchisme tel que nous le concevons: Le changement ne peut venir que de nous-mêmes, organisés sans hiérarchie, il commence ici et maintenant et doit s'inscrire dans la durée. L'unique alternative consiste en une reconstruction intégrale d'une société parallèle : une fédération libertaire et solidaire, un réseau d'entr'aide et d'échanges, des centres de production et de répartition, le développement d'une autonomie énergétique renouvelable, une sécurité sociale complémentaire par péréquation, etc. Bref, un travail de fourmis conséquent, développé en étapes progressives par ceux qui en ont fait le choix , basé sur le pragmatisme et l'empirisme, loin des idéologies qui délèguent, déresponsabilisent, promettent et confisquent.
On pourrait dire que l'ébauche de ce travail est entamée. En effet, c'est le réseau associatif qui se charge de pallier aux manques sociaux; sans les 13 millions de bénévoles en France, la société serait déjà en miettes. Mais l'exemple des Restos du Cśur est symptomatique : avant d'être quasi-institutionnalisée et de devenir ce cirque médiatique pour chanteurs en mal de marketing, l'idée de Coluche de mettre en place cette nouvelle soupe populaire autogérée était subversive car elle court-circuitait l'Etat, un véritable camouflet pour les politiques de l'époque (les mêmes qu'aujourd'hui d'ailleurs, à quelques morts près). Entre temps, l'aspect politique de ce projet s'est dissout dans les compromis visant à récolter plus de subventions et de fonds privés. 20 ans après, 45000 bénévoles distribuent 65 millions de repas par an, faut-il vraiment s'en réjouir? Est-ce une solution à long terme contre la misère? Manifestement non. Ces bénévoles travaillent et payent leurs impôts pour alimenter capitalisme et Etat, puis passent leur temps libre à en réparer les dégâts. Ils s'attaquent aux conséquences, et non aux causes des problèmes (ce qui est évidement mieux que de ne rien faire, là n'est pas mon propos). Alors, peut-on à la fois changer le pansement et penser le changement ? Je le crois, mais à condition que les projets s'inscrivent dans une démarche globale, coordonnée et réellement autogestionnaire.

Finalement, quand on fait le point sur les principales oppositions qui représentent la part contestataire de l'anarchisme, à savoir tout ce qui découle de la volonté de suppression de la hiérarchie : l'anti-capitalisme, l'anti-étatisme, l'anti-militarisme, l'anti-fascisme, l'anti-racisme, l'anti-sexisme, l'anti-homophobie, et l'anti-cléricalisme, on remarque que beaucoup d'entre elles, après avoir été très subversives il y a quelques décennies, sont maintenant intégrées par l'opinion publique au point de faire partie du politiquement correct. L'anti-capitalisme se fait à nouveau de plus en plus présent, mais en ce moment, et dans le cas de la France , c'est à mon avis sur le thème de l'anti-étatisme, peu répandu dans l'opinion, qu'il faut insister, car le terrain est favorable et c'est une des spécificités importantes de l'anarchisme. Pour de nombreux autres pays, on pourrait aussi citer l'anticléricalisme comme priorité de lutte. Pour être bien clair, je ne dis pas que ces sujets sont plus importants que les autres, ces choix correspondent juste à une position stratégique correspondant au contexte actuel.
Il reste aussi à faire connaître les propositions de remplacement, l'aspect constructif de l'anarchisme, avec les notions de fédéralisme libertaire, de démocratie directe (mandats révocables impératifs), d'autogestion, de solidarité appliquée, d'écologie radicale, de laïcité libertaire (et de l'athéisme comme philosophie) etc. Cette dualité contestataire et constructive fait de l'anarchisme à la fois une contre-culture et une culture alternative.
Lorsqu'on tente de convaincre du bien fondé des valeurs anarchistes, on est souvent confronté à certains blocages récurrents, notamment l'aspect utopique qui résulte d'une certaine vision de la « nature humaine » et de l'ampleur du projet.
Concernant la nature humaine, je défends pour ma part le principe selon lequel l'animal humain fonctionne finalement comme tout autre être vivant : Il s'adapte à son environnement. Si son environnement est une jungle où règne la loi du plus fort, il s'efforcera de devenir un prédateur ou d'accepter la soumission en échange d'une certaine sécurité. Quand il évolue dans un monde individualiste, précaire, violent, formaté sur l'obéissance à la hiérarchie et la compétition, et si en plus il ne fait pas l'expérience d'une solidarité familiale ou amicale, il aura toutes les chances d'intégrer les règles de ce milieu et de façonner sa personnalité sur ces schémas.
Si le règne animal peut souvent sembler fasciste, l'humain a ceci de spécifique qu'il peut en partie modifier et choisir son environnement ainsi que transcender ses instincts. La nature humaine n'est ni bonne, ni mauvaise, d'abord car, pour un athée, le bien et le mal sont des valeurs culturelles à géométrie variable (on préfèrera les termes « viable » ou « non-viable »), mais surtout car l'homme est avant tout le produit de son histoire, de ses rencontres, de ses conditionnements et déconstructions, il est par définition évolutif. C'est au contact de rapports humains solidaires comme l'amitié (qui est finalement une anarchie affective) qu'un individu développe son empathie pour l'Autre et ses facettes altruistes. En se choisissant un entourage fonctionnant sur ces valeurs, en rencontrant des gens désintéressés, curieux, créatifs, fiables, préférant l'être au paraître, sa vision du monde change et sa personnalité s'adapte dans le même sens. Quel besoin d'être un prédateur dans un environnement solidaire, sachant que la solidarité, en tant que synergie, se nourrit d'elle-même ? Dès lors, l'autre blocage récurent concernant le « besoin de domination et de coercition » perd sa raison d'être.

Notre faible effectif nous cantonne pour le moment à des actions limitées et à une concentration des énergies sur la diffusion des idées. Le mouvement anarchiste est dans une phase ou il doit convaincre pour se développer et atteindre la taille critique nécessaire à l'accomplissement de projets plus concrets. Quelle est cette taille critique ? Si l'on estime le potentiel actuel à quelques milliers d'activistes et de sympathisants (c'est également l'estimation des Renseignements Généraux cf. rapport « gauche 2000 »), 50.000 individus serait l'effectif idéal pour regrouper la quasi-totalité des compétences et des ressources requises pour mettre en oeuvre des projets d'ampleur significative. Evidemment, l'efficacité d'un tel réseau dépendra de sa qualité d'organisation et de coordination et du niveau d'implication des acteurs. La réussite de cette entreprise pourra ensuite fédérer autour d'elle beaucoup plus rapidement, via la propagande par le fait : On est toujours plus crédible et convaincant par les actes que par la parole.
Alors le défi qui s'impose à nous est le suivant : comment décupler ce réseau autogestionnaire, en l'espace de quelques années seulement pour lui conserver toute sa dynamique ?
On l'a vu, la période actuelle est assez propice à un renouveau anarchiste, la demande de changement et d'idées nouvelles est réelle et je reste persuadé que plusieurs millions de personnes seraient prêtes à adhérer à cette pensée si elles en connaissaient le contenu (on peut rappeler que la le syndicat anarchiste CNT comptait plus d'un million d'adhérents dans l'Espagne de 1936, sur une population totale de 24 millions de personnes.)
Il est essentiel que les anarchistes prennent pleinement conscience de cette « fenêtre de tir », en partie comparable à la situation de mai 68, et qu'ils s'impliquent à la mesure de l'enjeu, il faut aussi que le mouvement prenne confiance en lui-même, il a trop longtemps intégré sa position ultra-minoritaire et le fatalisme ambiant à ce sujet ne peut générer que du découragement.
Nous n'avons jamais eu autant d'outils de création, de supports et de médias différents à notre disposition : Les journaux, les fanzines, la radio, le web, les Cdroms et DVD… les logiciels libres permettent de créer toutes sortes d'images, photo-montages, mises en page, montages vidéos et audios, animations flash, et autres détournements. Les groupes musicaux engagés peuvent maintenant réaliser un album, le dupliquer ou le partager à moindre coût. Tout ceci est accessible à qui s'en donne la peine ; l'autonomie, la réactivité et l'efficacité sont facilitées par la réappropriation de ces technologies.
Une des tâches primordiales, en dehors de la propagande, est le développement des relations internationales, en nombres de contacts et en qualité de coordination, via des commissions de traductions. L'importance de cette démarche est évidente pour engager des projets collaboratifs et une stratégie commune, ou s'informer de ce qui se fait ailleurs ; elle peut également permettre de pallier en partie au déficit d'effectif du mouvement : fédérer des réseaux locaux génère plus d'interconnectivité des compétences, donc plus de projets possibles.
De la même manière, des ponts doivent être construits entre les différentes contre-cultures proches de la pensée anarchiste, à l'image du mouvement anarchopunk, d'autres styles musicaux ou cultures alternatives sont sensibilisés aux idées libertaires grâce à des associations ou des groupes qui s'en font les relais (on peut déjà trouver quelques exemples dans les mouvements techno, rap ou metal). En effet, quel peut être le meilleur vecteur d'une culture sinon l'art ? La musique, en particulier, a été pour beaucoup une porte d'entrée dans la politique, et certains styles sont très adaptés à la diffusion d'idées contestataires. Il serait d'ailleurs intéressant de connaître la proportion des activistes anarchistes ayant découvert ces idées via tel ou tel milieu culturel, syndical… par quel(s) média(s), à quel âge, sur quel(s) thème(s), etc. Bref, réaliser une petite étude sociologique ou un sondage grandeur nature qui aurait l'avantage de mieux connaître le mouvement et surtout ce qui fonctionne en terme de diffusion des idées. Enfin, dans une société de l'information, l'hacktivisme constitue un des leviers les plus puissant et une force de frappe aux applications multiples. Que l'on appelle cela anarcho-Hacking, cyberphunk, anarchisme technologique ou crypto-anarchisme, le mouvement tend à se développer rapidement et des conventions de hackers anarchistes se tiennent régulièrement dans beaucoup de pays, la France reste à la traîne dans ce domaine et la jonction reste à faire entre les cyberbidouilleurs et l'anarchisme. La culture du partage, de la collaboration et de la gratuité s'est répandue comme une traînée de poudre sur internet, nul doute que l'idée d'une transposition au réel a germé dans l'esprit de beaucoup d'utilisateurs. Les notions de copyleft, de peer to peer, d'autogestion en réseau, de logiciels libres… sont maintenant connues de nombreux internautes.

Que les portes d'entrée vers l'anarchisme soient du domaine culturel, philosophique, syndical, artistique ou informatique, on reste souvent dans le conceptuel, dans l'univers de l'abstraction et des idées. A notre époque, l'anarchisme n'a que trop rarement l'opportunité d'être confronté au matériel, hormis dans les lieux autogérés et autres squats dont la durée de vie dépend souvent du bon vouloir des autorités… Encore un fois, ce n'est pas une fatalité, c'est la conjoncture qui le détermine. Pour le moment, le temps étant surtout à la propagande, ceux qui disposent de savoir-faire dans les domaines s'y rattachant (écriture, création artistique, informatique, graphisme …) peuvent se réaliser dans leurs activités et se sentir utiles à leurs idées, mais ceux dont les compétences sont plus matérielles, plus concrètes peuvent se sentir moins impliqués et leur motivation peut en pâtir. C'est pourquoi, malgré le manque de moyen, il faut lancer dès maintenant des projets qui requièrent une plus grande diversité de compétences.

Je voudrais finir en abordant le sujet de l'engagement personnel et les sources de motivation pour une implication sur la durée. La jeunesse fait souvent preuve d'une volonté qui paraît inébranlable, mais une fois englués dans les problèmes de la vie quotidienne, beaucoup finissent par vaquer à leurs petites affaires en oubliant souvent les valeurs et les idées qu'ils voulaient défendre et diffuser à l'origine, c'est un phénomène classique observé à grande échelle pour la génération 1968 (entre autres). La détermination dépend bien sur de l'émulation, de l'avancement des projets, de la résistance à la déception, de la capacité à canaliser ce qui constitue souvent le moteur de l'engagement : la révolte. Mais la motivation est surtout entretenue par le plaisir et l'intérêt, l'enrichissement personnel ou collectif que suscitent la prise d'initiative et l'action. Les activistes qui résistent à l'usure du temps peuvent parfois souffrir de « la solitude du coureur de fond » et connaître des périodes de démotivation au fil des défections, mais au final, c'est souvent cette philosophie de vie qui leur permet de tenir debout, de rester vigilant face à la somnolence intellectuelle et à la résignation. Quand on a eu les yeux ouverts, il est difficile de les fermer sans faire de cauchemars.