Pour en finir avec la religion…
La crédulité a toujours été un bon filon à exploiter, et en ce moment, le marché est porteur. On peut observer quelques signes de ce retour en force du fait religieux :
– La théocratie américaine où l’on s’apprête à rétablir la théorie créationniste à l’école dans certains états, en remplacement de celle de l’évolution de Darwin ;
– La montée des fondamentalismes religieux musulmans, juifs ou chrétiens ;
– L’orgie médiatique autour de la mort de Jean-Paul II et la désignation de Ratzinger, « le grand inquisiteur », ultra-conservateur et proche de l’Opus Dei, comme nouveau pape ;
– Le marketing forcené des évangélistes (ils étaient 15 à 20 000 à sillonner les rues à la dernière coupe du monde de foot en Allemagne, comme pendant les Jeux olympiques d’Athènes) ;
– La résurgence des superstitions, des sectes et de l’occulte (rien qu’en France, « les arts divinatoires » génèrent un chiffre d'affaires de plus de 3,2 milliards d'euros, soit environ 15 millions de consultations pour environ 100 000 « professionnels »)…
Nous vivons donc dans un monde où l’irrationnel est la norme et où la très grande majorité de la population croit en dieu, en le définissant à la mesure de son ignorance.
Est-ce pour autant inéluctable ? Comment combattre quelque chose d’aussi abstrait ?
La politique et la philosophie supportent les arguments rationnels, la religion y est a priori hermétique puisqu’elle fonctionne avec sa propre logique. On peut d’ailleurs difficilement parler de logique religieuse puisqu’elle est hétérogène suivant les religions et qu’elle s’appuie sur l’auto-référence.
Pour dégager quelques pistes et éléments de réflexion, il convient d’analyser, sous l’aspect historique, social et humain, les conditions et les mécanismes qui ont favorisé le recul de la religiosité ou, au contraire, sa progression.
Il s’agit dans un premier temps d’identifier les mécanismes qui poussent l’individu vers la religion. deux catégories se distinguent :
- L’environnement social
L’évolution dans un environnement non laïc, avec une éducation religieuse et une pression sociale faite de traditions, de dogmes idéologico-politiques et d’ordre moral a toutes les chances d’aboutir à une religiosité forte, sauf en cas de rejet ou de révolte vis-à-vis de cet environnement. L’ignorance, le manque d’éducation, dont la pauvreté peut être la cause, est manifestement un facteur aggravant.
Ce qui a permis à la religion de se développer et de s’ancrer si profondément dans la société, c’est aussi et surtout la recherche d’un contrôle social via la morale religieuse, utilisé de tout temps par les gouvernements ou royautés… et qui est encore souhaité de nos jours, y compris par des non-religieux qui y voient l’opportunité d’un auto-flicage de la masse populaire. L’ordre moral, en somme, c’est un flic dans chaque tête, gratuitement.
Nous avons tous une morale sous une forme plus ou moins différente, mais dont les caractéristiques essentielles se basent sur les usages viables de cohabitation en société (la non-violence, l’entraide, etc.) qui ont été souvent repris par les religions sous formes de commandements. En ce qui concerne la solidarité, il est intéressant de citer l’exemple de sœur Emmanuelle affirmant qu’elle n’aurait jamais eu de démarche altruiste sans sa croyance en Dieu, et reconnaissant que les altruistes athées ont plus de mérite puisque c’est un choix désintéressé, ils n’achètent pas leur place au paradis. On peut faire de bonnes choses pour de mauvaises raisons…
- Les sentiments humains
Ce sont des sentiments que nous partageons tous, mais pas dans les mêmes proportions. En premier lieu, il y a évidemment la peur de la mort (la sienne et celle de ses proches). La conscience de sa finitude entraîne paradoxalement sa négation, puisque le soulagement est recherché et trouvé dans la spiritualité. La vie après la mort (ou la réincarnation) et les retrouvailles avec les proches disparus sont en effet des promesses communes à toutes les religions.
Je placerai ensuite les besoins de sens et d’humanisme : Le besoin de croire en quelque chose ou d’espérer et le besoin d’identité, de partager avec l’autre une culture commune… Bref, tout ce qui est de l’ordre du lien social, qui porte également en lui le besoin de reconnaissance.
On peut aussi évoquer la nécessité d’échapper à une réalité plutôt sordide et aux contraintes terrestres : en cela, la religion a beaucoup en commun avec une drogue qui apporterait sinon du plaisir, au moins du soulagement et de l’évasion.
Le sentiment d’impuissance face aux événements peut se traduire sous la forme d’un désir de contrôler ce qui semble incontrôlable : un trait commun à toute religion est la prière, ou les rituels d’offrandes, qui consistent finalement à essayer d’influencer Dieu (ou les dieux, les esprits etc.) pour obtenir satisfaction.
Tout cela participe de la volonté d’apporter des réponses simples aux problèmes complexes ou insolubles dans l’état actuel de la science, c’est une paresse intellectuelle, un endormissement de la raison permettant tous les raccourcis possibles, et qui est un autre pilier de la religion.
On pourrait également y voir une volonté inconsciente de ne pas être responsable de ses actes, de s’en remettre à Dieu, la hiérarchie absolue, qui serait le véritable maître de son destin. Le croyant nie son libre arbitre, Dieu étant seul juge, il nie donc sa liberté, infantilisé par un système de sanctions arbitraires du type bonus/malus (karma, paradis/enfer…).
Autre exemple de cette déresponsabilisation : l ’envie de nier son animalité a amené l’homme, à travers la plupart des religions, surtout monothéistes, à se considérer comme hiérarchiquement au-dessus des animaux, sous prétexte qu'il possède une âme et le droit divin de dominer la nature (cf. Genèse, 1, 28 : « …et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »).
Le mépris ou la peur de l’autre me semble également une cause cachée, ce qui se manifeste notamment chez l’homme par la peur de la femme… ou de son désir envers la femme, symbole de tentation, d’impureté, de trahison et de bêtise dans la grande majorité les religions. Voici quelques extraits parmi des dizaines au choix dans les « livres sacrés » qui légitiment le patriarcat et le sexisme :
BIBLE (ANCIEN TESTAMENT) : GENÈSE, 3, 16
« Il dit à la femme : j'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. »
CORAN, SOURATE 4,VERSET 34
« Les hommes ont autorité sur les femmes, du fait qu'Allah a préféré certains d'entre vous à certains autres, et du fait que les hommes font dépense de leurs biens en faveur des femmes. Celles dont vous craignez l'indocilité, admonestez-les. Reléguez-les dans les lieux où elles couchent. Frappez-les. »
TALMUD :
Sois béni, Seigneur notre Dieu, Roi de l'Univers, qui ne m'as pas fait femme », une des prières que tout bon juif doit prononcer chaque matin.
Dans l’hindouisme, le sati est la pratique qui consiste à brûler vivante la veuve d’un mari défunt sur son bûcher. Même si elle n’est plus répandue, elle a encore cours aujourd’hui.
Un des textes fondamentaux du bouddhisme, le canon pali, exprime lui aussi sans ambiguïté cette misogynie : « Aussi le Bouddha ne cesse-t-il de mettre ses disciples en garde contre la séduction insidieuse exercée par la femme : “Il faut se méfier des femmes, leur recommande-t-il. Pour une qui est sage, il en est plus de mille qui sont folles et méchantes. La femme est plus secrète que le chemin où, dans l'eau, passe le poisson. Elle est féroce comme le brigand et rusée comme lui. Il est rare qu'elle dise la vérité : pour elle, la vérité est pareille au mensonge, le mensonge pareil à la vérité. Souvent j'ai conseillé aux disciples d'éviter les femmes.” »
La religion vient donc combler ces vides existentiels et atténuer ces peurs, elle se nourrit d’abord du vide de nos vies et s’attaque parfois à ce qu’il en reste : on connaît l’exemple de ces nonnes ou moines qui se coupent pratiquement de toute vie sociale, affective et sexuelle pour remplacer le tout par la foi en Dieu, on pourrait également citer celui du kamikaze qui se fait sauter pour la promesse d’une place au paradis avec soixante-dix vierges… il s’agirait d’ailleurs d’une « erreur » de traduction du coran puisqu’il faudrait lire « fruits blancs comme le cristal » au lieu de « vierges aux grands yeux », encore un possible exemple d’utilisation de la religion à des fins politiques.
La fanatisation est l’aboutissement logique du processus de révélation divine : Dieu étant au-dessus de tout, l’existence terrestre passe au second plan, tout juste perçue comme un chemin de croix, une épreuve divine ou une période transitoire douloureuse selon les religions. L’humanité est réduite à un troupeau de pécheurs égarés, mauvais par nature, incapable de se gérer sans berger et qui doit vivre dans la crainte de son créateur.
S’il y a de nombreux mécanismes communs aux religions, sectes, superstitions, etc., il est préférable de connaître les différentes catégories de religions et de croyants afin d’adapter son discours et les arguments : Que met-on dans le mot « Dieu » ?
– Animisme et chamanisme : ces conceptions attribuent à tous les éléments de la nature une âme ou une volonté. C’est une religion assez commune aux sociétés tribales, et qui semble être également la représentation du monde qu’auraient les enfants. Il est très probable qu’elle soit la première forme de religion de l’humanité, mais elle est devenue très marginale (Afrique, Océanie). En outre, cette forme de croyance ne semble pas être la plus dangereuse, on peut même y trouver l’avantage du respect de la nature qui lui est inhérent.
- Le polythéisme et le paganisme sont des conceptions finalement assez proches de la personnalité humaine, en ce sens que les dieux sont imaginés comme des personnages au caractère propre, aux champs d’action et aux aptitudes définis. L’anthropomorphisme caractérise les dieux de l’antiquité romaine, grecque, scandinave, égyptienne ou ceux de l’hindouisme qui sont décrits comme on raconterait maintenant les exploits de super-héros dans les comics et les films. L’influence de la nature, vestiges des croyances passées, est encore présente et les dieux sont souvent représentés sous une forme mi-humaine, mi-animale. Peut-on y voir une transition vers un anthropocentrisme plus exacerbé dont l’aboutissement est le monothéisme avec l’homme à l’image de Dieu ?
L’aspect manichéen est moins marqué que dans une religion monothéiste puisque les dogmes changent d’une divinité à une autre, les dieux peuvent rentrer en conflit entres eux et le croyant peut privilégier sa dévotion à un dieu auquel il s’identifie le mieux.
- Les religions orientales (bouddhisme, shintoïsme, taoïsme…) sont plus souvent décrites comme des philosophies sans dieu (ou panthéiste, voir animiste), l’absence de divinité n’empêchant pas les doctrines irrationnelles telles que la réincarnation, les esprits, etc.
- Enfin, la forme de religion que vous aurez toutes les chances de rencontrer, le monothéisme, qui est de loin la plus répandue sur terre, en premier lieu le christianisme et l’islamisme qui concernent la moitié de la population mondiale, comme en témoignent les statistiques suivantes :
Ces données sont tirées du tableau de David B. Barrett, Nations Unies, 1998. Le Britannica Book of the Year 1998 donne des chiffres similaires.
Répartition des religions dans le monde :
Christianisme : 1 943 038 000, soit 32,8% de la population mondiale. Parmi les chrétiens, on distingue les catholiques, protestants, orthodoxes, anglicans et autres chrétiens.
----- Catholiques : 1 026 501 000, soit 17,3% de la population mondiale.
----- Protestants : 316 445 000, soit 5,3% de la population mondiale.
----- Orthodoxes : 213 743 000 soit 3,6% de la population mondiale.
----- Anglicans : 63 748 000, soit 1,1% de la population mondiale.
----- Autres chrétiens : 373 832 000, soit 6,3% de la population mondiale.
Islam : 1 164 622 000, soit 19,6% de la population mondiale. Les continents où les musulmans sont les plus nombreux sont l'Asie (812 000 000) et I'Afrique (315,000,000). Les musulmans se répartissent en deux grandes traditions : les sunnites (83,0%) et les shi'ites (16,0%).
Hindouisme : 761 689 000, soit 12,8% de la population mondiale.
Religions sino-japonaises : 388 192 000 soit 6,6% de la population mondiale.
--- Confucianisme (6 241 000)
--- Shintoisme (2 789 000)
--- Religions chinoises traditionnelles (379 162 000).
Bouddhisme : 353 794 000, soit 6,0% de la population mondiale.
Religions tribales : 248 565 000, soit 4,2% de la population mondiale.
Nouvelles religions : 100 144 000, soit 1,7% de la population mondiale.
La plupart de ces religions ont été fondées après 1800, mais surtout depuis 1945.
Sikhs : 22 332 000, soit 0,4% de la population mondiale.
Judaïsme : 14 111 000, soit 0,2% de la population mondiale.
Autres religions :
Spiritistes (11 785 000)
Bahias (6 764 000)
Jaïnistes (3 922 000)
Il est aussi important de rappeler les différentes formes de conceptions de dieu : théisme, déisme, panthéisme
Le théiste croit que dieu a créé l’univers et qu’il a une influence sur toute chose, y compris sur la vie des humains. Dieu est alors une entité intelligente, omnisciente et omnipotente qui décide de tout.
Le déiste pense que dieu, à l’origine de l’univers, n’intervient pas dans la vie des humains. Une notion de libre arbitre apparaît, et si dieu ne répond pas aux prières humaines et ne se soucie pas du devenir humain, son importance semble moindre que dans la conception théiste.
Le panthéiste imagine dieu comme étant la totalité de ce qui existe, dieu est dans tout ou tout est dans dieu, il ne sépare pas l’univers de son créateur. On peut alors pratiquement remplacer le concept de dieu par celui de nature. Ce point de vue abandonne la personnification de dieu, et peu finalement y retrouver une forme de pensée animiste, plus monolithique.
En Europe, on observe l’abandon progressif de la croyance et des pratiques religieuses ainsi qu’une forte diminution des vocations à intégrer l’Église, à tel point qu’elle fait venir des curés d’Afrique pour administrer ses paroisses vacantes, inversant ainsi le flux missionnaire de la colonisation. Cette diminution est pourtant loin d’être homogène : si un quart de la population de l'Union Européenne serait « non religieuse » et 5% des Européens seraient des athées convaincus, une enquête menée dans 21 pays sur 21 000 personnes et publiée en décembre 2004 annonce que 25% des Européens de l'Ouest se disent athées contre 12% dans les pays d'Europe centrale et orientale.
Et toujours selon cette enquête, 4% des Roumains et 8% des Grecs se disent athées contre 49% des Tchèques et 41% des Néerlandais.
L’histoire d’un pays joue donc un rôle déterminant sur sa religiosité. Intéressons nous maintenant aux mécanismes qui ont engendré le développement de l’athéisme à travers l’exemple de deux des pays les plus athées au monde : la Tchéquie et la France.
Depuis la révolution de 1789, la religion n’a cessé de reculer en France et le phénomène s’est accéléré durant ces vingt dernières années. Les causes de cette sécularisation sont d’abord liées à l’avancée de la connaissance, à travers le développement de la science et ce qu’on a appelé les Lumières au XVIIIe siècle, c'est-à-dire l’avènement de la rationalité. Il est clair qu’à ce moment en France, il y a eu une méfiance envers le clergé et la noblesse de droit divin, qui ont spolié le peuple des siècles durant, et que ce rejet fut probablement un catalyseur du besoin de cohérence. La démocratisation de l’accès à la culture et l’éducation massive qui ont suivi ont rapidement propagé cette vision des choses. Il est également certain que dès qu’on apporte une explication plus satisfaisante à un phénomène observé, l’individu y adhère. Pour prendre un exemple classique, la foudre était auparavant la manifestation de la colère divine ; maintenant, pour la majorité de la population informée, il s’agit d’un phénomène météorologique et électrique bien connu. Dieu recule à mesure que la connaissance avance, Dieu est donc un parfait synonyme d’ignorance. À chaque fois que quelqu’un présente la volonté divine comme cause de tel ou tel phénomène, vous pouvez être sur qu’il n’a aucune idée du sujet, tout simplement car l’idée de Dieu le dépasse par définition.
Les luttes anticléricales et laïques, qui ont notamment abouti à la séparation de l’Église et de l’État en 1905, représentent le point d’orgue de ce processus. Les militants de l’époque avaient une démarche anticléricale active, c'est-à-dire qu’ils n’hésitaient pas à provoquer le débat jusque dans les églises, apportant la contradiction au gourou de la paroisse et à ses ouailles.
Tolérer la croyance individuelle ne veut pas dire tolérer la main mise de l’Église sur la vie publique, dès lors, détruire un calvaire présent sur un lieu public (comme il en fleurit à tous les carrefours dans les régions rurales…) pourrait relever de la légitime défense philosophique.
En dehors des causes structurelles ou politiques, notre mode vie actuel n’est pas étranger à l’accélération du recul religieux : le consumérisme et le rythme imposé par la course à la réussite laissent peu de temps aux questions d’ordre non pragmatique. Ou quand les deux sens du mot « matérialisme » se retrouvent.
Quoi qu’il en soit, le constat est clair : en France, les « sans-religion » sont nettement majoritaires chez les moins de 50 ans, atteignant même 63 % des 18-24 ans. Par comparaison, seuls 5% des Américains se disent « sans religion »...
VOICI L’ÉVOLUTION DE LA PROPORTION D’ATHÉES AFFIRMÉS DE 1981 À 2003 EN FRANCE :
ANNÉE - % DE LA POP.
1981 - 10,0% ¹
1990 - 11,0% ¹
1994 - 23,0% ¹
2003 - 33,0% ²
¹ QUID 2000, ² SONDAGE CSA
Selon d’autres sondages, seuls 8% des Français vont à la messe au moins une fois par mois et
62% des Français se disent catholiques, mais le critère étant le baptême, ce chiffre ne dit rien sur la croyance.
En Tchéquie, 30 à 37% des habitants s'affirment croyants selon les sondages (contre 95% des Polonais par exemple) et de 49 à 54% se disent athées. La raison principale en est l’influence d’un courant anticlérical très puissant au XIXe siècle, et toujours fortement présent. Et comme en France, il y a cette méfiance vis-à-vis du clergé suite à une Histoire marquée par l’instrumentalisation de la religion, d'abord le catholicisme pour les buts politiques des Habsbourg, ensuite le protestantisme pour les ambitions des nationalistes tchèques.
L’Histoire démontre l’efficacité de la lutte anticléricale et le prolongement de ses effets dans le temps. La laïcité, qui désigne le principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse, n’est finalement qu'un effet des luttes anticléricales.
La laïcité est indispensable quand on a à subir la présence d’un gouvernement, mais elle n’est pas suffisante, elle ne protège pas totalement de l’influence des institutions religieuses sur la société. Quand le Vatican interdit au nom de Dieu l’usage du préservatif, l’avortement, le divorce, etc., il influence directement des centaines de millions de vies avec les effets qu’on connaît, notamment sur l’expansion du sida en Afrique. A ce titre Jean-Paul II est à ranger avec Hitler, Staline, Mao, l’Oncle Sam et autres Pol Pot parmi les plus grands bouchers du XXe siècle.
Aux USA, la séparation de l'Église et de l'État est censée exister, ce qui n’empêche d’ailleurs pas de retrouver du prosélytisme jusque sur les billets de banque (« In God we trust »), la religion y est pourtant incontournable.
L'anticléricalisme est un positionnement idéologique qui refuse ou est très critique envers une forme d'autorité religieuse, le clergé, envers son ingérence ou son influence sur la vie publique. On peut donc être à la fois anticlérical et croyant : il est alors possible, en argumentant sur les effets de l’influence du clergé dans l’Histoire, de convaincre un croyant du bien fondé de ce combat, sans que celui-ci n’aie à renier sa foi. Prendre du recul par rapport à l’institution religieuse et à son dogme peut constituer un premier pas vers une redéfinition de l’idée de Dieu, voire vers sa remise en cause.
Il s’agit de trouver la porte d’entrée dans une discussion qui permet d’aborder le sujet sous un angle acceptable par l’interlocuteur. Même si l'on peut semer quelques graines de doute, il est quasiment impossible de convaincre quelqu’un lors d’une rencontre ponctuelle, et si c’est le cas, c’est que la personne est tellement influençable qu’elle pourra changer d’avis le lendemain. Par contre, si vous connaissez dans votre entourage une personne croyante, ce qui est fort probable, et qu’une conversation peut s’inscrire dans la durée avec elle, il est possible de trouver les arguments et la méthode de persuasion adaptés à sa personnalité. Évidemment, la tâche est difficile puisque convaincre un croyant qu’il est dans l’erreur équivaut à annoncer à quelqu’un qu’il va mourir dans un futur proche.
Si vous recherchez des exemples d’arguments d’ordre philosophique, il y a notamment "Les douze preuves de l’inexistence de Dieu" de Sébastien Faure et bien d’autres livres sur le sujet, mais normalement le bon sens devrait suffire. Entraînez-vous sur vos grands-parents…
Malgré la progression de la science et des accès au savoir de plus en plus répandus, la religion semble globalement ne plus reculer. Le paradoxe américain illustre ce phénomène de manière caricaturale avec une ferveur religieuse énorme, malgré la présence forte des facteurs qui devraient contribuer à sa diminution. Ces facteurs de modernisation ne sont donc pas les seules conditions nécessaires. Les vides ne sont pas comblés. Ils sont d’ailleurs tellement importants dans nos sociétés actuelles (division sociale, compétition, précarité, peurs attisées par les médias, absurdité du système consumériste, misère affective et sexuelle …) qu’ils peuvent expliquer ce paradoxe.
Par ailleurs, parmi les idéologies qui portent en elles un humanisme, on observe une forte proportion d’athées (anarchisme, extrême gauche, socialismes et communismes du XIXe siècle…) . La plupart de ces idéologies ont été perverties lors de la tentative de mise en pratique : pour prendre l’exemple bien connu du communisme, quand il s’est (vite) transformé en totalitarisme effroyable, les populations se sont réfugiées à nouveau dans la ferveur religieuse, la Pologne en est un bon exemple. Une idéologie privée d’humanisme laisse la place à la religion. Dans tous les pays, plus on va à droite dans l’échiquier politique, plus la religiosité est prédominante.
La solution à la religion semble bien être à la fois de nature politique et philosophique. Politique car l’environnement social est un facteur déterminant (éducation, laïcité, solidarité sociale, recherche scientifique…). Philosophique car, on l’a vu, les facteurs extérieurs ne sont pas suffisants pour supprimer l’appel d’air religieux et, lorsque la science ou la consommation deviennent des quasi-religions (on attend toujours l’invention ou le produit miracle qui pourra nous sauver…), on substitue juste un mal par un autre.
Il n’existe pas de recette philosophique applicable à tous, elle doit être cohérente avec l’histoire de chacun. Je donnerai juste l’exemple qui m’est le plus familier, celui de la philosophie la plus répandue dans notre scène alternative : une sorte d’hédonisme humaniste mélé d'épicurisme. Il ne s’agit pas ici de l’hédonisme égoïste et frénétique qui pourrait qualifier notre société de consommation, mais celui, plus social, qui contribue à l’organisation de notre milieu.
Au Moyen Age, de nombreuses fêtes étaient organisées (jusqu’à 150 par an), la plupart étant d’anciennes fêtes païennes récupérées par l’Église qui ne pouvait les faire disparaître. La préparation de la fête, la fête elle-même et les discussions qui en suivaient renforçaient considérablement le lien social en favorisant la communication et l’organisation entre les habitants d’un village. C’est un peu l’idée qu’on retrouve avec les concerts, les fêtes privées et autres TAZ de la scène alternative.
Autre point qui me semble caractéristique de notre milieu : la mort n’y est pas un sujet tabou, c’est même un sujet récurrent dans les styles proches du metal ou du punk. Les textes et autres représentations de la mort sur les pochettes d’album, t-shirt, etc., sont légion, à l’image d’une fête des morts mexicaine, mais permanente et profane. La mort étant dédramatisée, voire tournée en dérision, l’angoisse tend à disparaître. Pourtant, si le thème de la mort est si présent, le culte de l’énergie commun à l’ensemble de la scène alternative vient contrebalancer ce que certains pourraient prendre pour du nihilisme: la vie est courte, c’est ce qui en fait sa valeur.
Ainsi, le vieux slogan punk « no future » peut être interprété de trois façons :
– nihiliste, c’est l’interprétation la plus courante des néophytes et du grand public ;
– comme une critique sociale : il n'y a pas de futur si on poursuit le mode de vie actuel ;
– hédoniste : profite de l’instant présent comme si c’était ton dernier jour.
On peut aussi y retrouver la pensée d'épicure au sujet de la mort : "la mort, n'est rien par rapport à nous, puisque, quand nous sommes, la mort n'est pas là, et, quand la mort est là, nous ne sommes plus"
L’anarchisme et le DIY, plus présents dans le punk, crust, hardcore et grind, apportent respectivement la dimension humaniste et la responsabilisation, la réappropriation du contrôle de sa vie.
L’indépendance, la libre pensée et la créativité y sont des valeurs centrales, la curiosité culturelle est pour beaucoup un moteur de leur activité intellectuelle. On peut donc y trouver des repères culturels, affectifs, politiques, et les moyens d’expression artistiques pour se réaliser. Bref, même dans cette communauté réputée marginale, on retrouve finalement les ingrédients d’une vie sociale équilibrée…
Les vides étant comblés, il n’est pas étonnant que la scène alternative soit très majoritairement athée et soit même un vecteur de propagation de l’athéisme (modestement puisqu’il s’agit d’un microcosme de quelques dizaines de milliers de personnes en France par exemple, mais efficacement puisque le taux d’athéisme est proche de 100%). On peut apporter un bémol puisqu’il existe depuis quelques années, aux États-Unis principalement, une mouvance chrétienne dans le metal et le hardcore, et que ce dernier a déjà vu apparaître des dérives Krishna avec des groupes comme Shelter ou Cro-Mags.
Refermons cette parenthèse contre-culturelle.
La philosophie athée dans son ensemble peut donc se propager par de multiples vecteurs, comme toute autre idée. L’athéisme militant prend alors tout son sens : il ne s’agit pas d’un combat vain et d’un autre temps contre des moulins à vent, mais bien d’une lutte essentielle dont les effets sur la société sont bien réels. Mais pourquoi choisir de promouvoir l’athéisme plutôt que l’agnosticisme ?
Pour rappel, « l'agnosticisme se réfère à la conception philosophique selon laquelle il est impossible à l'homme de se prononcer sur l'existence de Dieu et sur sa nature, voire plus généralement sur toute question métaphysique ».
Notre évolution intellectuelle est fondée sur les connaissances accumulées (informations de base) et la dynamique de la réflexion (outil logique). L’Histoire s’inscrit dans la première catégorie, la science dans la seconde.
Du point de vue historique, l’idée de dieu et son corollaire, la religion, sont incontestablement sources de dégâts considérables sur la société : guerres, croisades et massacres, inquisition et torture, obscurantisme, confiscations de richesses, évangélisation massive et forcée des colonies qui se poursuit sous d’autres formes, éradication de cultures et de langues rares, contribution active au maintien de pouvoirs fascistes en place, contrôle social et mental, héritage de traditions dégradantes, patriarcat, sexisme et misogynie, terrorisme et autre forme de fanatisme, etc.
En raisonnant selon une logique scientifique, que même les croyants ne peuvent nier puisqu’ils en utilisent chaque jour les applications, on pourrait affirmer a priori que l’agnosticisme est l’attitude la plus appropriée face à l’idée de Dieu. En effet, face à un problème métaphysique insoluble dans l’état actuel des connaissances, la science préconise le doute. Elle accepte de dire « Je ne sais pas » là où les guides spirituels vous donneront de source sûre une explication toute faite et simpliste qui satisfera les plus crédules.
Le doute est effectivement un moteur de la recherche mais ce n’est pas le seul, l’empirisme est même le premier : La science fonde ses hypothèses de travail en s’appuyant sur l’expérience et l’observation. Or la science n’a jamais observé, reconnu ou expérimenté Dieu, ou l’une de ses manifestations: les pseudo-miracles en tous genres. La démarche logique n’incite donc pas à choisir l’hypothèse « Dieu », l’hypothèse « non-Dieu » est plus probable, puisque pour l’instant on a observé l’absence de manifestation divine. L’athéisme est alors une conception plus rationnelle que l’agnosticisme
« Ce qui est affirmé sans preuve, peut être nié sans preuve » affirmait Euclide (sans preuve…)
Effectivement, on ne peut nier que ce qui a été affirmé au préalable, c’est pourquoi l'athéisme n'est pas une foi, c’est l’affirmation d’une non-croyance.
L’athéisme n’est donc pas une croyance en non-dieu, c’est une non-croyance en dieu, la différence est philosophiquement très importante.
L’agnosticisme ne se prononçant pas sur l’idée de Dieu laisse tout le champ libre à la religion, et d’ailleurs il existe des religions agnostiques tel que le bouddhisme. Quelle est la position d’un agnostique vis-à-vis de l’existence du Père Noël, des farfadets, des fées, des dragons à dix têtes et autres créatures imaginaires ? Va-t-il refuser de les nier sous prétexte qu’il n’a pas la preuve de leur non-existence ?
Enfin, l’idée de Dieu est incompatible avec la volonté de liberté et de responsabilité et la religion n’est pas compatible avec la raison, l’esprit critiqueet la méfiance vis-à-vis de la hiérarchie. Celui qui cherche la libre pensée ne peut s’encombrer d’œillères et de barrières mentales.
Pour finir sur l’athéisme et l’agnosticisme, voici quelques estimations de différentes sources sur le nombre de personnes concernées dans le monde:
D'après le Britannica Book of Year 1994 : 1,154 milliard d'agnostiques et d'athées dans le monde.
Selon le Britannica Book of the Year 1998 : 906,9 millions d'agnostiques et d'athées.
Tableau de David B. Barrett, Nations Unies, 1998 :
« Non religieux et athées : 909 570 000 , soit 15,4% de la population mondiale. Les non religieux sont les personnes qui ne professent aucune religion, les non-croyants, les agnostiques, les libre-penseurs et ceux qui sont indifférents à toute religion. Les athées sont les personnes qui font profession d'athéisme, de scepticisme ou d'irréligion : pour eux, l'univers existe sans Dieu ni créateur ; il faut ajouter enfin ceux qui sont opposés ouvertement à toute religion. Les non religieux sont les plus nombreux en Asie (600 822 000) et les athées, en Asie également, (121 451 000). »
La World Christian Encyclopedia annonce 1,071 milliard d'agnostiques et 262 millions d'athées dans le monde en 2000.
Le plus difficile des combats que l’humanité aura à livrer sera de faire reculer la religion. C’est pourtant une condition indispensable à remplir pour son émancipation... Les luttes sociales du XIXe siècle nous ont montré la voie en n’oubliant pas l’importance du clergé et de la foi aveugle dans le processus de manipulation et d’exploitation des masses. La religion reste un des principaux verrous du système de domination, l’athéisme et l’anticléricalisme actifs en sont les seules clés. En Occident, l’athéisme militant a plutôt laissé la place à une indifférence vis-à-vis de la religion. Ce relâchement de la vigilance est également une des causes de la résurgence de la croyance. Bien sûr, nos sociétés n’oublient pas de stigmatiser une religion en particulier quand ses gouvernements ont besoin de boucs émissaires : à une époque, les juifs étaient visés, maintenant les musulmans sont instrumentalisés. Mais peu de voix s’élèvent dans les médias de masse pour prévenir du danger que représente LA religion, personne ne voulant heurter la majorité de la population. On préfère agiter le spectre d’un choc des civilisations en s’empressant de vanter les mérites du catholicisme et du judaïsme dans les talk-shows pseudo-culturels mais assurément néo-réactionnaires, où se croisent Minc, Finkielkraut ou Dantec…
Encore une fois, c’est sur le terrain et sous la forme d’un travail de fourmi qu’on doit envisager l’action : prendre contact avec les athées militants d’autres pays pour les soutenir, faire connaître les actions symboliques comme l’acte de débaptisation, apporter la contradiction dès que l’occasion se présente, organiser des contre-manifestations lors des rassemblements de grenouilles de bénitier anti-IVG, etc.
En plus de l’athéisme, il nous faut également proposer largement une philosophie qui réponde aux attentes et aux vides que la religion vient combler : La peur de la mort, le sens de la vie, une morale, un ciment social, etc. Une philosophie immanente peut remplir ces fonctions : l’épicurisme, ou plus exactement l’hédonisme social, est la seule philosophie qu’un croyant pourra faire sienne, en échange de sa vie éternelle. La vraie question à se poser n’est pas « y’a-t-il une vie après la mort » mais bien « y’a-t-il une vie avant la mort. »
Ressources sur l’athéisme :
http://atheisme.free.fr
http://fr.wikipedia.org/wiki/Athéisme
débaptisation