Retour à l'accueil

 

Urbanisme - Etat des lieux

Notre environnement urbain est la matérialisation des idées qui le dirigent. La politique d'urbanisme, et l'idéologie qui la motive, se cristallisent donc autour de nous. Ce faisant, elle influe directement sur notre vision du monde, sur notre comportement et finalement sur notre pensée. L'urbanisme est alors à la fois la trace visible de l'héritage du passé, un facteur déterminant de nos conditions de vie actuelles et un élément d'anticipation sur le futur de la vie sociale urbaine. L'évolution de la gestion de l'espace public et des lieux de vie est très révélatrice du monde qu'on nous prépare.

Urbanisme des lieux publics

Au milieu du XIXe siècle, sous Napoléon III, le préfet de Paris Haussmann entreprend de relier les gares entre elles par de larges boulevards pour stimuler les affaires, mais aussi (surtout ?) pour empêcher les barricades : ces grandes voies rectiligne ponctuées de casernes étaient idéales pour combattre les émeutes ouvrières, par des charges de cavalerie, voire par l'utilisation de canons. Dans le même temps, il fait détruire les petites ruelles des quartiers populaires qui étaient historiquement des lieux de rencontres, de débats, propices à la révolte et aux barricades. Cette vision de la ville purement économique et répressive s'est perpétuée depuis. Actuellement, sous le règne de Sarkozy le Petit, il est à nouveau question de percer les cités ghettos par des grands boulevards sous prétexte de désenclaver le quartier, mais en réalité pour que l'intervention policière soit facilitée contre les nouvelles classes sociales dangereuses.

Il semble que tout soit fait pour que la ville ne redevienne jamais un lieu de rencontre, mais un seulement un lieu de circulation, d'habitation et de consommation. A présent, le modèle largement adopté en Europe est celui de la gestion à l'américaine des lieux publics, le « Defensible space »  (urbanisme sécuritaire ou « architecture de prévention situationnelle ») : des méthodes éprouvées garantissant le flux permanent des personnes : afin d'empêcher les passants de s'asseoir, les municipalités ont imaginé un système d'arrosage permettant de garder les pelouses toujours humides, de même, le niveau des fontaines est calculé de manière à ce que les rebords soit toujours mouillés.

Pour empêcher les SDF de dormir (trop facile, sinon…) ils ont déployé tout un arsenal de techniques comme l'arrosage des chaussées, les bancs anti-SDF qui intègrent un arceau interdisant la position horizontale, ou qui sont raccourcis. On peut également évoquer l'installation des « sièges Motte », ces coques individuelles oranges qui sont apparues dans le métro ou les abris bus à partir des années 70. Les passages, petites impasses et autres portes cochères pouvant servir d'abris ont été grillagés ou sont arrosés à l'huile. Les gens du voyage n'ont pas été oubliés puisque des plots en béton et des ponts artificiels de moins de 2 mètres sont construits rien que pour eux aux abords des terrains municipaux.

Dans les années 80, la fermeture des halls d'immeuble s'est généralisée avec l'apparition des digicodes. Les caméras de surveillance sont devenues omniprésentes. Les halls de banque ne s'ouvrent qu'avec la bande magnétique de la carte bleue, ce qui exclu tout ceux qui en sont privés… Les sans-abris sont les preuves vivantes de l'absurdité du système, et à ce titre, ils ne doivent pas être visibles dans le milieu urbain, à venir troubler la bonne conscience du consommateur. D'ailleurs, même ce dernier doit prendre garde, puisqu'on trouve de plus en plus de « piques à humains » sur les rebords des vitrines parisiennes.

Dans toutes les villes de France, on retrouve ce fameux rond point dont les sorties vous emmènent vers le centre Leclerc, le Mac Do, ou le Darty, voilà ce qui vient remplacer la convivialité des vieux quartiers, les derniers lieux de rencontre urbains se réduisent aux débits de boissons et aux cages d'escalier. Le flicage omniprésent en aura bientôt raison. Avec le remplacement des lieux de vie par des lieux de circulation, et le coût élevé des transports, les gens sortent juste pour se rendre au travail ou au supermarché, ils ne se rencontrent plus. La mixité sociale se perd, ce qui accentue le phénomène de repli communautaire ethnique, religieux ou culturel, et alimente les préjugés, les peurs et les conflits. Outre le communautarisme, le repli individuel est également mécaniquement encouragé par ce mode de vie et l'appellation citoyen n'a plus de sens de nos jours : Seuls le consommateur, le contribuable et le travailleur sont sollicités.

La crise du logement

Effet direct de la gestion mercantile de l'espace de vie, l'accès au logement est rendu de plus en plus difficile du fait de l'explosion des loyers. Comment a-t-on fabriqué cette crise ? Quelles en sont les véritables causes ? Les « experts » s'accordent à dire qu'il manque actuellement environ 500.000 logements sur le marché français de l'immobilier pour équilibrer l'offre et la demande et ainsi atténuer la flambée des prix. Vision typiquement capitaliste des choses… Les divers gouvernements successifs n'auraient pas jugé bon d'anticiper ce besoin, en investissant dans la construction de logements sociaux… Voila pour la conception étatique…
En fait, le problème est ailleurs, il faut rappeler quelques chiffres :

Source Insee 2004 :
30.3 millions de logements en France :
Résidences principales : 25.431.000
Résidences secondaires : 2.987.000
Logements vacants : 1.846.000

Alors qu'un million de personnes n'ont pas de logement (hébergés chez des proches), qu'on estime à 400.000 le nombre de SDF en France (86.000 officiellement) et que 400.000 à 600.000 des logements sont insalubres, l'absurdité est poussée à son paroxysme puisque près de 5 millions de logements sont soit vacants soit des résidences secondaires, ces grandes maisons avec vue sur la mer mais dont les volets restent clos 11 mois sur 12…
A Paris, ou la crise du logement fait rage, il est intéressant de noter que 10% des logements sont vacants (soit 136.000).
Ce n'est donc pas un problème de place, il y aurait largement de quoi loger tout le monde décemment, mais trêve de pragmatisme, c'est la loi du marché qui décide si les humains doivent avoir un toit ou être à la rue. C'est bien le problème d'accumulation des richesses, de la spéculation et d'une politique complice de l'Etat qui a « relancé » le marché de l'immobilier. Si un milliardaire décide d'acheter une ville entière et d'en laisser les logements vides, il le peut. C'est finalement ce qui se passe à l'échelle du pays.
A qui profite le crime ? Aux propriétaires qui louent leur(s) logement(s), donc les plus nantis. Aux agences immobilières, aux promoteurs, aux notaires (étrange profession quasi mafieuse qui facture à prix d'or des pseudo-prestations paperassières relevant en toute logique du service public…) et à tous ceux qui veulent « remettre la France au travail » : Le logement est le premier poste de dépense, c'est donc celui qui oblige une personne à trouver un emploi à plein temps, si ce n'est plus, le loyer de la cage à lapins standard rattrape rapidement le salaire de base, surtout en région parisienne et dans les grandes villes. D'ailleurs, 30% des SDF ont un emploi, le travail ne constitue plus une garantie de logement.

Mécaniquement les centres villes sont désertés par les plus modestes et même par les classes moyennes qui se retrouvent en banlieue, délogeant ainsi les plus pauvres via l'augmentation des prix que génère leur arrivée… Ce déplacement concentrique des classes sociales abouti à l'exclusion des plus modestes et au renforcement de la ghettoïsation sociale, pour les riches comme pour les pauvres.
Les plus précaires, demandeurs d'asile, SDF, chômeurs, Rmistes, travailleurs pauvres, clandestins… se retrouvent entre les mains des exploiteurs du marché de la misère, les « marchands de sommeil », qui louent parfois des chambres miteuses ou des caves à 2000 voire 3000 euros par mois.

L'hôtel est d'ailleurs devenu un mode de gestion de la précarité pour les demandeurs d'asile : l'Etat préfère payer des sommes énormes à ces hôtels au lieu de louer des appartements pour moins cher, car il a alors la possibilité de jeter à la rue le demandeur et sa famille du jour au lendemain, dans le cas où la requête est rejetée (85% des cas). La chasse aux clandestins est alors ouverte, il s'agit d'échapper à la meute de Sarkozy, une milice rompue au débusquage et à l'expulsion des miséreux avec la « French gestapo touch » qu'on lui connaît. Depuis quelques temps, tous les squats d'habitation ou culturels sont vidés manu militari les uns après les autres par le nabot hyperactif.

Les économistes libéraux avancent avec fierté le fait que 56% des Français sont propriétaires de leur logement (une maison dans un cas sur deux). Ce qu'ils gardent bien de préciser, c'est que seuls 35% de ceux qui ont acheté n'ont plus d'emprunts à rembourser (insee), le véritable propriétaire est encore la banque la plupart du temps. Au final, moins de 20% des Français sont réellement propriétaires, chiffre nettement moins reluisant pour la 6eme puissance économique mondiale...
Dans les faits, l'accession à la propriété, une des étapes majeures de notre mode de vie standardisé, devient de plus en plus problématique à cause des tarifs prohibitifs, de la précarité et de la mobilité qu'impose le monde du travail actuel. Il n'est pas rare d'avoir des durées de remboursement de 30 ans dont 10 ans pour les seuls intérêts si on prend les assurances chômages, accident ou maladie en option… Evidemment, selon la logique habituelle, l'argent est plus cher pour les pauvres, ceux qui ne disposent pas d'apport significatif. Alors, on fait miroiter des taux d'intérêt au plus bas pour les crédits immobiliers et l'endettement s'accroît encore.
Selon le même principe, la location devient hors de prix et, si elle permet d'éviter le crédit et de conserver une relative liberté de mouvement, elle est à déconseiller à ceux qui ont encore des projets d'avenir…
Alors choisis ton deuxième patron : la banque ou le proprio. Une vie à crédit contraignante, stressante et souvent sédentaire, ou une autre forme de précarité, non moins stressante, qui consiste à payer à prix fort le droit d'occuper un clapier déjà 10 fois rentabilisé. Si ce choix ressemble beaucoup à une grosse mascarade, pour rester poli, il reste le moteur essentiel de la dépendance financière et de l'acceptation du travail subi.

Le logement et la notion de propriété sont étroitement liés. La présence même de logements luxueux, hôtels particuliers, manoirs, châteaux… est la trace historique laissée par la bourgeoisie et l'aristocratie. De nos jours, en France, des descendants de nobles possèdent toujours des forêts, étangs et autres domaines privés. Ces archaïsmes à particule ont hérité des terres et des biens que leurs ancêtres se sont attribués par la force durant des siècles. Proudhon affirmait « la propriété c'est le vol », mais c'est avant tout la violence, puisque chaque parcelle de propriété privée provient des auto-proclamations de possession de ces seigneurs de guerres, perpétuées dans le temps d'héritages en reventes. La violence, aussi, car en cas de violation de cette sacro-sainte propriété privée, c'est encore par la force que la police viendra réaffirmer son statut de chien de garde des privilèges ploutocratiques.

 

Urbanisme privé

Pour éviter un retour de la lutte des classes, qui prend de nos jours plus souvent des formes de banditisme plutôt que des aspects politiques, la solution qui a été trouvée est celle de la ségrégation des classes, c'est-à-dire une séparation physique par la ghettoïsation et le cloisonnement social.
Partout où la fracture sociale est grande, à Sao Paulo, à Manille, Mexico, Bogota ou encore Johannesburg, on trouve ce type de village sécuritaire pour nantis, où la sécurité privée détermine les règles et applique les sanctions. La protection physique face à la pression grandissante des écarts de richesses devient la règle autour de laquelle s'organise l'urbanisme, c'est l'inscription dans le marbre du mode de vie en société ultra-libérale.

Aux Etats-Unis, on appelle ces nouvelles cités les CID (Common-interest developments): ce sont des résidences closes conçues pour restreindre l'accès aux non-résidents, par l'intermédiaire d'agents de sécurité. 30 millions d'Américains, soit 12% de la population habitaient fin 1999 dans un des 150 000 CID en 2010, ils devraient être 48 millions répartis dans 225 000 CID. La particularité de ces CID réside dans le fait que le règlement intérieur est fixé par le ou les propriétaires des lotissements: Ce lieu est un espace privé, une ville dans la ville, entièrement géré par les administrateurs actionnaires, où l'on vend un mode de vie plus qu'un logement. Les administrateurs se réservent le droit de pénétrer dans les domiciles, d'exclure qui enfreindrait les restrictions réglementaires consignées dans des listes interminables, dont en voici quelques exemples: "Clôtures, haies et murets ne peuvent pas dépasser un mètre de hauteur. Toute inscription est interdite, à l'exception des écriteaux "A vendre". Les arbres doivent être soigneusement taillés et ne pas dépasser la hauteur des toits, lesquels doivent être couverts de tuiles rouges…Les chiens ne doivent pas dépasser le poids limite autorisé de 13.6 kilos…Dans un village réservé aux retraités, les petits enfants des résidents n'ont pas le droit d'accéder au centre de loisirs et, en général, les visites à domiciles des enfants sont strictement limitées…" Ca va jusqu'au couvre feu qui interdit aux voisins de discuter à l'extérieur après une certaine heure, ou jusqu'à la couleur des murs intérieurs et le style de meubles qui peuvent être installés près des fenêtres. Ce phénomène touche en majeure partie une classe moyenne assez âgée et blanche mais il existe de nombreux CID de luxe où les riches peuvent se retrouver entre eux en toute sécurité, dans ce cas, ils sont propriétaires de leur logement et décident donc des règles internes. Non content de créer des ghettos de pauvres, le capitalisme a engendré des châteaux forts privés, pour protéger ses riches, aux portes desquels toute discrimination est autorisée. Ces villes privées constituent une véritable aberration sociale et une régression moyen-âgeuse en réinstaurant le principe de forteresses gardées.

Un exemple typique de ces villes privées : Celebration, « mickey City », une ville de 800 résidences construite en Floride par le Groupe Disney. Michael Eisner, le patron de Disney, explique ses motivations dans son livre « Profession magicien », « concevoir une ville selon plusieurs principes fondateurs dont un nouveau type d'éducation pour les enfants, et un système de santé centré sur la prévention, le diagnostic, la vie saine, le bien-être physique et mental. » « On se croirait dans un feuilleton des années 50 », ajoute t-il , sûrement quelque chose entre la quatrième dimension, happy days et 1984… L'urbanisme y est bien entendu strictement réglementé mais il apparaît finalement que c'est surtout la vision conservatrice d'un certain mode de vie qui est mis en avant, et donc une certaine forme de contrôle social. Ce genre de quartier résidentiel où règne un conformisme idéologique, est d'ailleurs optimisé pour la surveillance, la forme de relation de voisinage la plus répandue de nos jours.

Vers une privatisation totale de la cité.

Dans tous les domaines, le pouvoir politique perd du terrain au profit de la puissance économique. La politique d'urbanisme n'échappe pas à la règle puisqu'on observe une dérégulation de la ville au profit des intérêts marchands et industriels. Ce sont les flux de marchandises qui sculptent les villes d'aujourd'hui et de demain, et non plus les urbanistes ou les architectes.

Ainsi Lagos au Nigéria, la ville-marché de 15 millions d'habitants, gérée au grè des entreprises locales est un exemple typique de l'adaptation parfaite à la mondialisation capitaliste, avec sa police et sa justice privée et sa gestion spécifiquement ultra-libérale. Une mutation semblable à celle de Dubai ou de Houston qui préfigure de ce que seront les villes du futur, réduites à des centres de profit et de transit tentaculaires, surpolluées, sans espace vert ou lieu public, entièrement dédiées au commerce et à l'industrie, ou conçue autour de la voiture. La Chine est très en avance dans ce domaine : avec l'organisation d'un exode rural gigantesque de 400 millions de personnes vers les zones urbaines comme main d'œuvre bon marché pour les usines. (la plus grande déportation de l'histoire de l'humanité), il se construit une ville de la taille de Paris tous les mois.… Inutile de préciser que ces conglomérats de tours bétonnées et de manufactures géantes n'auront de ville que le nom, les conditions de vie y sont inhumaines, les ouvriers, souvent séparés de leur famille par plusieurs milliers de kilomètres dorment sur leur lieu de travail ou à proximité pour l'optimisation du nombre d'heures d'exploitation. Une génération entière coulée dans le béton pour alimenter la machine à croissance.

Les infrastructures de communication ne sont pas oubliées dans cette course à la marchandisation. L'Etat français privatise des autoroutes, la SNCF ferme ses lignes non rentables et externalise certaines activités, les bureaux de poste disparaissent dans les communes rurales, … Il est intéressant de constater que l'Etat solde les derniers biens publics soit disant pour renflouer les caisses, mais comme seules les parties rentables peuvent être vendues, le déficit se creuse encore du fait du manque à gagner, et le gouvernement annonce alors un autre plan de rigueur et de nouvelles privatisations. Ce mécanisme implacable qui fait progresser le capital au détriment des services publics est commun à tous les pays engagés sur la voie du libéralisme, c'est-à-dire la quasi-totalité de la planète… L'Etat ne conservera au final que ses fonctions régaliennes : La police, les institutions judiciaires et pénitencières (quoique les prisons privées fleurissent un peu partout) ainsi que l'armée, financées par le peuple pour la défense du capital.

Que l'avènement de la gestion utra-libérale de nos cités et de nos vies se fasse via L'Etat ou au détriment de l'Etat, celui-ci reste l'instrument direct du capital : c'est le cas dans nos « démocraties représentatives » dont les principaux rouages sont le lobbyisme patronal, la bourgeoisie gouvernementale, la corruption, l'entrisme des complexes pétroliers, nucléaires, militaro-industriels, médiatiques ou mafieux (Bush, Berlusconi, Poutine, Chirac et les autres…). C'est également le cas pour les états dictatoriaux, les juntes militaires, les pétromonarchies, les vestiges du colonialisme et les totalitarismes à la chinoise qui ont tous bien intégré les principes de la guerre économique.

Face à ce constat qui s'impose comme un mur, il s'agit pour ceux d'entre nous qui ne sont ni fascistes, ni communistes autoritaires, ni libéraux, ni étatistes, de promouvoir quelques notions vitales pour la collectivité. Rappeler, inlassablement, que la démocratie sera directe ou ne sera pas, que l'autogestion, la réappropriation de l'espace public, le fédéralisme et le communalisme libertaire sont des pistes qu'il serait temps d'envisager. Rappeler que des luttes sont en cours pour la gratuité des transports publics et leur caractère écologique, que des expériences concrètes de gestion alternative de la cité existent de Merlieux à Nimbin en Australie. Rappeler enfin que "Politique" vient du grec "polis", la ville, et qu'il ne faut pas l'abandonner aux marchands et à leurs chiens de garde.